PARLONS ENDOMÉTRIOSE


Louise
La puberté n’est jamais une étape facile chez une jeune fille mais l’endométriose la transforme en enfer.
Le premier jour de mes premières règles, j’ai immédiatement été terrassée par la douleur. J’étais tétanisée par ce sang qui coulait, ce corps qui changeait et cette prise de conscience que je devenais une femme à onze ans. Mais surtout, je ne savais pas que cette douleur si intense n’était pas « normale ». Comment aurais-je pu ? Dès cet instant et pendant des années, on m'a répété que c’était normal d’avoir mal et que je devais arrêter d’être aussi douillette. C’est à cause de ce jugement ridicule qu’il faut sept ans en moyenne pour être dépistée. C’est à cause d’eux : ces mères, tantes, amies, et médecins tout-puissants qui ne prennent pas au sérieux la parole d’une ado.
De façon tout à fait concrète, de onze à quinze ans j’ai serré les dents, en prenant du Doliprane - totalement inefficace -, en m’habituant aux tampons pour endiguer le flux - à onze ans, ça fait tout drôle, croyez-moi- et en mettant mon réveil à deux heures du matin pour aller me changer la nuit - sinon le débordement était assuré. A quinze ans, j’ai supplié mon médecin de me donner la pilule. Elle était totalement inefficace pour la douleur, mais au moins mes règles ne duraient plus que cinq jours. Cinq jours contre dix, c’était toujours ça de gagné. Pendant ces cinq jours, je me concentrais donc sur les choses les plus simples du quotidien : me lever sans m’évanouir, éviter de manger pour ne pas vomir, ni courir aux toilettes, me tenir aux murs pour me déplacer et serrer les dents lors des contractions de l’utérus. Et je ne m’étendrai pas sur la douleur indicible des premiers rapports sexuels à cause de ce corps qui ne fonctionne pas pareil et ne supporte pas toutes les positions. L’endométriose n’est pas simplement une maladie physique, elle affecte psychologiquement chaque jeune fille avec cette idée obsédante de ne pas être comme les autres, de ne pas être une vraie femme.
J’ai été dépistée à vingt ans, non pas parce qu’un médecin m’a enfin écoutée mais parce qu’on a trouvé une endométriose bien plus développée chez ma sœur aînée et que j’ai insisté pour également passer un IRM. Je dois souligner que mon diagnostic a été possible parce que je suis allée voir sa gynécologue spécialisée dans l’endométriose, qui elle-même m’a orientée chez une radiologue experte dans ce domaine sur Paris. Je ne veux pas créer un débat « capitale contre province » mais il est important d’aller voir des experts. En effet, quand j’ai refait un IRM de contrôle cinq ans plus tard dans ma région, ils n’ont tout simplement pas retrouvé mon endométriose et m’ont dit qu’elle était partie ! Inutile de préciser que c’était faux. Pour ces mêmes raisons, mon suivi a été chaotique pendant sept ans. Faute de trouver des gens compétents dans ce domaine, j’ai suivi les prescriptions de gynécologues qui ne comprenaient pas comment mon corps réagissait aux traitements. J’ai essayé une quinzaine de pilules différentes qui provoquaient mes règles pendant des mois entiers. J’ai même saigné pendant six mois en continu et comme aucun médicament n’arrêtait mon flux, j’ai fini à l’hôpital. Là-bas, un gynécologue m'a injecté un produit provoquant une ménopause artificielle pendant trois mois (avec tous les effets secondaires liés : bouffées de chaleur, vertiges, sécheresse, etc.). Est-il utile de préciser que ce médecin ne m'a pas auscultée parce que : « vous comprenez, je n’ai pas encore pris mon café et là ce n’est quand même pas joli joli…» ?
Au bout de deux ans, épuisée, anémiée et lassée, j’ai arrêté tout suivi et j’ai repris ma pilule d’adolescente. Je ne supportais plus d’être un rat de laboratoire. Pendant cinq ans, j’ai continué à vivre comme je l’avais toujours fait, en serrant les dents. Les symptômes se sont aggravés avec le temps et les deux premiers jours de mes règles, je ne pouvais plus me lever. J’ai dû adapter la prise de ma pilule pour ne pas travailler ces jours-là, impossible de demander un arrêt de travail chaque mois. J’ai aussi réfléchi à la possibilité de me faire retirer l’utérus. A vingt-cinq ans, c’était un peu extrême mais je ne voyais pas d’autres solutions. Et puis, je haïssais tellement le fait d’être une femme que renoncer à la maternité ne me posait aucun problème. Toutefois, la procédure était longue et le regard moqueur et négatif des médecins m’a découragée.
Pendant toutes ces années, la seule chose à m'avoir un tant soit peu soulagée de la douleur, c'était la bouillotte. Je la gardais sur mon ventre pendant trois jours en continu chaque mois. Mais l'usage excessif de cette chaleur bienfaisante a finalement eu raison de moi, une partie de mon derme sous la peau a brûlée. La bouillotte m'est donc totalement interdite aujourd'hui, évidemment. Mais dès que je prends un bain trop chaud, les cicatrices réapparaissent. C'est anecdotique, mais cela me donne le sentiment d'avoir été marquée au fer par mon endométriose.
A vingt-sept ans, j’ai déménagé sur Paris et je suis retournée voir cette spécialiste qui m’avait dépistée. On a repris tout mon dossier ensemble et elle a trouvé un traitement qui arrête mes règles. Un vrai miracle : toute ma vie a changé depuis ce jour. J’ai une chance incroyable de pouvoir, aujourd’hui, vivre sans penser à mon endométriose, sans avoir d’opérations à subir (pour le moment) et sans vouloir d’enfants (pour le moment aussi) ; d’autres femmes n’ont pas ce droit. Mais cela me tue de réaliser qu’il m’aura fallu neuf ans pour être dépistée et encore sept ans pour être traitée. Je ne suis plus amère, je connais trop ma chance, mais j’aimerais tant que toutes les jeunes filles qui souffrent n’aient pas à endurer ces seize années comme moi. Il est grand temps que les choses changent.